Quand je suis devenu grand...
Les manifestations anti-CPE montrent plus qu'une opposition face à un nouveau contrat de travail. Elles permettent de laisser exploser la rage de toute une frange de la jeunesse, diplômée, presque privilégiée. En repensant à mon petit exemple, j'ai tenté de comprendre les racines de cette colère que je n'arrivais pas à saisir jusqu'à maintenant.
Je suis diplômé d'une bonne école de commerce, devenue école de management (glissement sémantique qui n'est pas neutre d'ailleurs). J'ai un Bac +5 en marketing et fait ma dernière année en apprentissage au siège d'une grande entreprise. Le profil rêvé me direz-vous et pourtant. Je me souviens des claques que je me suis pris à la sortie...
Je ne pouvais pas poursuivre en CDI dans l'entreprise dans laquelle j'ai fait mon apprentissage. Et puis, je voulais rester en Rhône-Alpes. Qu'à cela ne tienne, je me suis mis à chercher un taf en avril 2006. J'ai postulé dans divers domaines mais je n'avais de chances que dans la Banque. J'ai fait un apprentissage et un stage dans ce domaine, il est donc IMPOSSIBLE de trouver ailleurs, je suis marqué au fer rouge. Claque n°1 : les recruteurs vous mettent tout de suite dans des cases et il est très difficile d'aller voir ailleurs.
Dans mes recherches, j'ai vite compris que le seul type de poste possible pour un jeune diplômé en marketing est... un job de commercial. Pour une offre en market, il y a 20 offres en commercial. Pour la com le ratio doit être de 1 pour 50. Or, dans mon cursus on m'a fait penser que le commercial n'était pas pour nous. Que nous aurions de suite des postes à responsabilité, de management mais jamais de vente. Ou alors des postes d'ingénieur commercial grand compte, des postes de vente "conseil". D'ailleurs sur un promo de 500, seulement une petite trentaine a fait une majeure vente. Claque n°2 : ma spécialisation en marketing ne VAUT RIEN. Mon profil est totalement inadapté au marché et on m'a fait croire que j'aurai sous 3 mois des postes ouverts à des gens ayant 5 à 10 ans d'expérience. Il faut faire ses preuves pour espérer à terme occuper des postes à responsabilité.
J'ai au final trouvé un job, à dominante commerciale bien sûr. Pendant mon entretien on m'a d'ailleurs fait comprendre que mon expérience d'apprenti en marketing ne valait rien du tout et était même un handicap. Vous avez fait du marketing ? Pourquoi postulez-vous à un job de commercial ? J'ai eu beaucoup de chance car c'est un CDI avec des conditions très correctes. Mais beaucoup d'amis sont restés sur le carreau après avoir payé cher leurs études. Claque n°3 : le diplôme n'est absolument pas une protection. D'ailleurs le chômage des BAC +5 est supérieur à celui des BAC +2.
Les premiers mois dans mon nouveau job ont été très durs. Je pensais avoir été préparé et puis j'ai envie de bien faire. Mais la différence entre le rythme d'étudiant (qui est un rythme de BRANLEUR ou on peut sêcher des cours, vaguement écouter en se remettant d'une cuite) n'a RIEN A VOIR avec l'entreprise. On demande DE SUITE des résultats, la pression est forte, les heures de travail longues et vraiment productives. Je me revois il y a encore un an en cours à pester contre tel ou tel prof, ou gueuler contre un travail de Groupe trop lourd. Je me dis que c'étais le Club Med à côté. Claque n°4 : l'entreprise n'est pas ce qu'on nous décrit en école. On est là pour faire du chiffre, bosser et montrer qu'on est dans les meilleurs. C'est un VRAI MONDE DE COMPETITION, ce qu'on ne nous apprend plus à l'école, du primaire à l'Université.
Alors quand on se prend autant de claques dans la gueule, on peut comprendre la rage des jeunes. Ceux qui manifestent ne manifestent pas contre le CPE. Ils manifestent contre un monde dur auquel ils ne sont pas DU TOUT préparés. Ils cherchent désespérement à trouver des portes de sortie. Et là je commence un peu mieux à comprendre les racines de la colère...